Revue vaudoise de généalogie et d'histoire des familles 2021
Biographies, parcours et réseaux de femmes
Sommaire
- Éditorial
- GENDREAU-HÉTU, Pierre, Voie des mères et mitochondries : 150 000 ans d’histoire contre l’oubli
- BADOUX, Robin, MONNET, Natacha, Construction de la relation conjugale à travers la correspondance. Étude de deux couples dans la Suisse
romande d’Ancien Régime - FAVRE, Madeline, Suzanne Necker, sa famille, son hospice. Ascension et place d’une femme dans la société des Lumières
(fin du XVIIIe siècle) - VARIDEL, Marc, Yvette Rosselet-Waridel, femme, socialiste, vaudoise… à Genève
- SAVOY, Lauriane, Les pionnières vaudoises du pastorat féminin (1925-1975)
- VAUCHER, Marc, Une success story féministe à la Belle Époque : l’arbre généalogique de l’Union des Femmes de Lausanne (1913) à l’épreuve des faits
- NICOD, Annemarie, Hommage à Antoinette Quinche (1896-1979), avocate et suffragiste vaudoise
- Nos lectures
- RYSER, Benjamin, Zwischen den Fronten. Berner Militärunternehmer im Dienst des Sonnenkönigs Ludwig XIV
- VUILLEMIER, Christophe, Les Chenevière. Une famille genevoise (1582-2021)
- Index
Editorial
Jasmina Cornut et Loïc Rochat
2021, une année qui marque un anniversaire important : celui des cinquante ans de l’acquisition du droit de vote et d’éligibilité des femmes au niveau fédéral en Suisse. Un anniversaire qui a suscité une émulation scientifique avec la publication de plusieurs ouvrages, expositions, projets de médiation et de visibilisation des femmes dans l’histoire de notre pays. 2021 un jubilé auquel la Revue vaudoise de généalogie et d’histoire des familles (RVGHF) voulait s’associer en valorisant des recherches portant sur l’histoire des femmes de notre canton.
Pierre Gendreau-Hétu, dans l’article de tête de notre édition, met en évidence l’intérêt particulier d’explorer la dimension matrilinéaire de la généalogie génétique qui favorise une méthodologie égalitaire, voire féministe, et souligne la portée heuristique que présente les analyses fondées sur l’ADN mitochondrial. Croisée aux sources d’archives traditionnelles, les données issues de la généalogie génétique ramènent les femmes au cœur de la recherche historique sur la parenté.
L’histoire de la famille « ne parle » en effet « pas automatiquement des femmes ». Nos derniers numéros thématiques axés sur des familles engagées dans certaines professions qualifiées dans les domaines de l’industrie horlogère (2014), de l’architecture (2015), de la banque privée (2017) ou de l’hôtellerie mettent en lumière des trajectoires surtout masculines.
Cependant si nos numéros de mélanges éclairent souvent la biographie et le cadre familial d’hommes (artistes, militaires, émigrés etc,), plusieurs études d’histoire sociale et démographiques, fondées sur des bases de données généalogiques et adoptant une perspective d’analyse de réseaux, dévoilent les stratégies matrimoniales, professionnelles et plus généralement sociales de familles vaudoises et romandes. Issus notamment de mémoires ou de recherches doctorales de l’Université de Lausanne, la RVGHF a justement publié des travaux éclairant les alliances des princesses de Savoie, des familles de l’élite valaisanne (2013) ou des notaires de Corsier (2016) ; elle a mis aussi en évidence les comportements sexuels des hommes et des femmes des communes de Montreux, de Meride (2013) ainsi que du Chenit, à la Vallée de Joux (2016).
Loin d’être encore institutionnalisées dans les unités d’histoire des Universités suisses, les études genres imprègnent cependant depuis près de deux décennies la recherche historique. Le genre comme catégorie d’analyse historique opère « un décalage par rapport à l’histoire des femmes en insistant sur l’articulation féminin/masculin, sa construction, son historicité, dans une approche plus large des rapports de domination et de pouvoir. Il ne s’agit plus de prendre les femmes comme un groupe constitué, mais là aussi d’interroger les catégories : comment hommes et femmes se perçoivent et se disent selon les époques ».
C’est dans cette perspective que Robin Badoux et Natacha Monnet portent leur attention sur la relation conjugale au XVIIIe siècle et la place de l’épouse au sein de celle-ci à partir d’échanges épistolaires entre quatre conjoints issus des élites vaudoises et genevoises. Se pencher sur des cas individuels présente l’intérêt de permettre de dépasser un certain modèle type de relation ne tenant souvent pas assez compte des différents particularismes. L’étude tend à démontrer que la dynamique conjugale et le rôle de l’épouse sont variables et se comprennent autant à la lumière de facteurs extrinsèques qu’intrinsèques.
Le siècle des Lumières voit se renforcer une vision dualiste des rôles de genre, les discours des clercs, des médecins ou des philosophes délimitent en effet le champ d’action des femmes dans la famille et dans la sphère domestique ; cette conception qui se renforcera au siècle suivant, de même que la restriction des droits civiles et politiques des femmes jusqu’au XXe siècle a « érigé bien des obstacles à leur possibilité d’intervention et d’expression dans l’espace public ». Mais ceux-ci ne furent pas toujours infranchissables comme en atteste le portrait de certaines femmes qui ont agi dans le domaine médical, politique ou religieux, présentées dans ce numéro.
Fidèles à la ligne éditoriale de notre revue, les auteurs et autrices de cette édition 2021 se sont appliqués à mettre en lumière le milieu familial de ces pionnières, un terreau d’analyse toujours intéressant pour saisir, en partie, certains contours de parcours ainsi que de choix de vie, parfois singuliers pour l’époque.
Madline Favre porte ainsi son attention sur les relations familiales de Suzanne Necker, née Curchod, pour comprendre l’influence que ces dernières ont eue sur l’implication de la Vaudoise dans la fondation et l’exploitation d’un hospice de charité à Paris à la fin du XVIIIe siècle. Le rôle de fille, d’épouse puis de mère de Madame Necker sont tour à tour analysés par l’historienne qui met en lumière leurs traits marquants qu’on retrouve ensuite transposés dans son action envers la population pauvre et malade de Paris. Cette recherche s’oriente ensuite sur la place des femmes dans la société de cette époque, en s’intéressant à l’accès à la scène publique que Suzanne Necker obtient suite à la renommée acquise par son projet d’hospice ainsi qu’à ses répercussions.
C’est aussi le contexte familial d’Yvette Rosselet, l’une des premières femmes élues députées au Grand Conseil genevois en 1961 que s’attache à dégager Marc Varidel avant de mettre en lumière le parcours professionnel et politique de cette dernière. En épousant le fils d’un Conseiller d’État genevois, membre éminent du Parti socialiste, Yvette née Varidel, issue d’une famille modeste d’origine vaudoise, également d’obédience socialiste, entre dans une belle-famille très engagée pour le combat social et les droits politiques féminins. Ce cadre familial et politique permet de saisir, en partie, l’engagement politique d’Yvette Rosselet, dès l’ouverture des portes du Grand Conseil aux femmes, suite à la votation populaire de 1960. L’étude de ses interventions au législatif genevois montre par ailleurs la nature de son combat pour les droits des plus faibles.
Dans un autre registre, cette fois religieux, Lauriane Savoy s’intéresse aux premières femmes pasteures dans le Canton de Vaud, dans l’Eglise évangélique libre et dans l’Eglise nationale réformée, qui fusionnent en 1966. Elle examine qui sont ces pionnières, quels sont leurs milieux familiaux, puis leurs fonctions et leurs trajectoires dans leur Eglise, dans une conjoncture qui ne leur est pas toujours favorable.
Enfin, c’est une perspective originale qu’adopte dans le dernier article de cette édition Marc Vaucher dans son analyse de la trajectoire de la plus importante association féminine suisse de la Belle Epoque : l’Union des Femmes de Lausanne. L’historien présente les fondements historiques qui sous-tendent l’affirmation de pleine réussite qu’affiche cette association, par le truchement d’un imposant arbre généalogique présenté lors de l’Exposition nationale de Berne de 1914. L’article met en évidence comment les membres de l’Union des Femmes de Lausanne tentent, contre vents et marées, de maintenir une place dans l’espace public au prix de stratégies d’affirmation identitaire qui déterminent de manière ambiguë le féminisme vaudois en train de naître.
Un hommage d’Annemarie Nicod à Antoinette Quinche, première avocate lausannoise inscrite au Barreau en 1926 mais surtout l’une des plus importantes figures de proue du combat pour l’acquisition du suffrage féminin de notre canton et au-delà de ses frontières, clôt ce numéro 2021.
Comme en témoigne l’important travail d’identification et de visibilisation des femmes dans les fonds d’archives vaudois en 2021, les perspectives offertes par l’histoire des femmes restent encore nombreuses à exploiter notamment « pour l’étude de la vie familiale en Suisse au début du XXe siècle et l’émancipation des jeunes femmes » mais ce prisme d’analyse ouvre également de nouveaux horizons aux champs généalogiques qui peut désormais d’ailleurs compter sur les signatures ADN matrilinéaires des analyses génétiques pour lever le voile sur les passés féminins.
Gageons toutefois qu’à l’avenir un tel numéro thématique axé sur l’histoire des femmes ne soit plus pertinent et que la curiosité et l’envie de souligner les rôles joués par tous les acteurs et les actrices des sociétés du passé animent aussi bien les auteurs et autrices de la RVGHF que notre comité de rédaction.